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Association Justice Information Réparation pour les Harkis

Avis du Conseil d'Etat du 6 octobre 2023

19/10/2023

Avis du Conseil d'Etat du 6 octobre 2023

A l'occasion d'un litige jugé par le tribunal administratif de Montpellier et frappé d'appel par le débouté, la Cour Administrative d'Appel avant de rendre sa décision sollicite le Conseil d'Etat pour avoir son avis sur plusieurs questions qui se posent à la suite de l'entrée en application de la loi du 23 février 2022 portant réparation réparation pour les Harkis...

 

Le Conseil d'Etat a rendu son avis le 6 octobre dernier. Vous trouverez ci-dessous notre analyse à propos de cet avis et au regard des différentes instances introduites par les Harkis ou leurs enfants.

Un Harki (ou un descendant ?) a saisi le Tribunal Administratif de Montpellier pour demander que l’Etat soit condamné à lui verser 100 000 euros en réparation des préjudices subis en raison des conditions d’accueil à son arrivée en métropole après la fin de la guerre d’Algérie. 


Le 8 juin 2021 tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.


Le Harki fait appel. La Cour d’Appel avant de juger cette affaire sollicite l’avis du Conseil d’Etat sur plusieurs points de droit.


1)    Si le procès a été engagé avant le vote de la loi du 23 février 2022 et que la personne ne peut pas ou ne veut pas bénéficier de la loi, le procès peut-il se poursuivre ?
2)    Si la loi n’empêche pas de saisir la justice pour demander réparation (avec des sommes plus importantes que la loi) la justice peut-elle opposer la prescription quadriennale ? (Et donc ne pas donner suite car les préjudices subis remontent à plus de 4 ans)
3)    Si la prescription quadriennale est possible, le juge doit-il l’appliquer ? (Ce qui met fin au procès sans aucune réparation pour le demandeur)
4)    Le juge peut-il condamner l'Etat à verser une indemnisation sur le fondement de la loi du 23 février 2022 ou doit-il renvoyer à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis ?


Les réponses du Conseil d’Etat du 6 Octobre 2023 sont claires :


-  La loi du 23 février 2022 ne met pas fin aux procès engagés avant son vote.
- Pour ces procès, il appartient au juge administratif de régler les litiges dont il a été saisi en appliquant des règles de droit commun y compris les règles de prescription si elles ont été opposées à la demande d'indemnisation 
- Les personnes concernées peuvent saisir la CNIH (Commission Bockel) pour bénéficier de la loi si elles sont passées par une ou plusieurs des structures listées par décret même si elles ont perdu le procès engagé.


Conclusion :


Des associations ont incité d’anciens Harkis ou leurs descendants à engager des procès contre l’Etat pour demander à titre de réparation entre 100 000 euros et un million d’euros (pour mémoire, Kader Tamazount demandait un million d’euros en première instance puis 100 000 euros en appel. Il a obtenu 15 000 euros en 2018. Il faut noter que pour Tamazount comme pour deux autres Harkis qui ont aussi obtenu 15 000 euros, le jugement final a été rendu avant le vote de la loi du 23 février 2022).


Aujourd’hui, avec cet avis du Conseil d’Etat, il est probable que la prescription quadriennale sera opposée à toute requête devant les tribunaux administratifs et les auteurs des procès seront invités à faire leur demande de réparation auprès de la CNIH via l’Onac avec le barème de la loi (entre 2 000 et 16 000 euros selon la durée de vie dans les structures de relégation reconnues).

 

 

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Avis du Conseil d'Etat du 6 octobre 2023 (dans son intégralité)

 

Conseil d’Etat

Avis no 475115 du 6 octobre 2023
NOR : CETX2327239V


Le Conseil d’Etat (section du contentieux, 10e et 9e chambres réunies),
Sur le rapport de la 10e chambre de la section du contentieux,
Vu la procédure suivante :
Par un arrêt no 21TL02946 du 15 juin 2023, enregistré le 15 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Toulouse, avant de statuer sur la requête de M. R… R… tendant à l’annulation du jugement no 1905403 du 8 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa
demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait des conditions d’accueil et de vie qui ont été réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et à leurs familles, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :


1o La loi no 2022-229 du 23 février 2022, en particulier le mécanisme de réparation prévu à son article 3, trouve- t-elle à s’appliquer aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, y compris à celles d’appel et lorsque le requérant ne se prévaut pas de ce mécanisme ?


2o Dans l’hypothèse d’une réponse positive à la question précédente, l’intervention de cette loi fait-elle obstacle, lorsque la situation du requérant entre dans son champ d’application et y compris dans l’hypothèse où l’intéressé indique renoncer au bénéfice de ce dispositif législatif, à ce que la responsabilité de l’Etat puisse être examinée sur le fondement des règles du droit commun de la responsabilité de la puissance publique, lesquelles comprennent notamment la possibilité d’opposer la prescription quadriennale prévue par les dispositions de la loi no 68-1250 du 31 décembre 1968 ?


3o Dans l’hypothèse d’une réponse positive à la question précédente, le juge doit-il déclarer irrecevables les conclusions indemnitaires se fondant sur le seul droit commun de la responsabilité de la puissance publique ?


4o Dans le cas où le dispositif législatif d’indemnisation s’applique, le juge peut-il, compte tenu de son office de pleine juridiction en la matière, condamner l’Etat à verser une indemnisation sur le fondement de la loi du 23 février 2022 ou doit-il renvoyer à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation
des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles le soin d’examiner la demande ? 


Des observations, enregistrées le 10 juillet 2023, ont été présentées par le ministre des armées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la loi no 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
– la loi no 2022-229 du 23 février 2022 ;
– le décret no 2022-393 du 18 mars 2022 ;
– le décret no 2022-394 du 18 mars 2022 ;
– le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes ;
– les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique,
Rend l’avis suivant :
1. Aux termes de l’article 1er de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines
structures sur le territoire français : « La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés./ Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie, des personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu’à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d’exclusion, de souffrances et de traumatismes durables. » Aux termes de l’article 3 de la même loi : « Les personnes mentionnées à l’article 1er, leurs conjoints et leurs enfants qui ont séjourné, entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, dans l’une des structures destinées à les accueillir et dont la liste est fixée par décret peuvent obtenir réparation des préjudices résultant de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans ces structures. / La réparation prend la forme d’une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, versée dans des conditions et selon un barème fixés par décret. Son montant est réputé couvrir l’ensemble des préjudices de toute nature subis en raison de ce séjour. En sont déduites, le cas échéant, les sommes déjà perçues en réparation des mêmes chefs de préjudice ». L’article 4 de cette même loi institue une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement sous statut civil de droit local et les membres de leurs familles, qui est chargée notamment de statuer sur les demandes de réparation présentées sur le fondement de l’article 3.


2. Les dispositions de la loi du 23 février 2022 citées au point 1 instituent un mécanisme de réparation forfaitaire des préjudices résultant de l’indignité des conditions d’accueil et de vie dans les lieux où ont été hébergés en France, entre 1962 et 1975, les harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie ainsi que les membres de leurs familles. Ce régime particulier d’indemnisation fait obstacle, depuis son entrée en vigueur, à ce que la responsabilité de droit commun de l’Etat puisse être recherchée au titre des mêmes dommages. 


3. En l’absence de dispositions transitoires en ce sens, les dispositions de la loi du 23 février 2022 ne sont pas applicables aux instances engagées antérieurement, mettant en cause la responsabilité de l’Etat à raison de ces conditions d’accueil et de vie en France, qui étaient en cours devant les juridictions administratives à la date
d’entrée en vigueur de la loi. Pour ces instances, il appartient au juge administratif de régler les litiges dont il demeure saisi en faisant application des règles de droit commun régissant la responsabilité de l’Etat, y compris le cas échéant les règles de prescription si elles ont été opposées à la demande d’indemnisation, les personnes
concernées restant pour leur part susceptibles de saisir la commission nationale créée par l’article 4 de la loi du 23 février 2022 d’une demande d’indemnisation fondée sur les dispositions de cette loi.


4. Compte tenu de la réponse apportée à la première question posée par la cour administrative d’appel de Toulouse, il n’y a pas lieu de répondre aux autres questions figurant dans la demande d’avis.


Le présent avis sera notifié à la cour administrative d’appel de Toulouse, à M. R… R…, à l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre et au ministre des armées. Il sera publié au Journal officiel de la République française.


Délibéré à l’issue de la séance 25 septembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d’Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes-rapporteure.


Rendu le 6 octobre 2023.


Le président,
J.-H. STAHL


La rapporteure,
C. THOMAS


La secrétaire,
C. RAMALAHANOHARANA

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