Emmanuel Macron a demandé pardon aux harkis, ces supplétifs de l’armée française de la guerre d’Algérie. Bachir est l’un d’entre eux. Il raconte son histoire dans l'Histoire.
Bachir Rezigat a choisi de rejoindre les rangs de l’armée française lors de la guerre d’Algérie. (©La Dépêche de Louviers – SB)
Par Sarah Boumghar Publié le 29 Sep 21 à 10:37
La Dépêche Louviers
Mon actu
C’est avec un sourire que nous accueille Bachir Rezigat à la terrasse d’un café de Louviers (Eure). Il se lève pour nous saluer, ce qui nous laisse tout le loisir d’apprécier l’élégance de sa tenue.
Tiré à quatre épingles dans son pantalon blanc et sa chemise de la même couleur, sur laquelle il a enfilé une veste de costume rayée, l’homme de 82 ans ressemble à une véritable gravure de mode.
Bachir est ce que l’on appelle un harki. Pendant la guerre d’Algérie (1954 – 1962), il choisit de rejoindre les rangs de l’armée française. Une évidence pour le jeune homme qu’il était alors.
« On aimait la France, on ne voulait pas qu'elle parte. J'avais toujours vécu entouré de colons, de pieds-noirs. Ils étaient nos voisins, nos amis. On partageait avec eux nos vies et jusqu'à notre nourriture. » Bachir Rezigat
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« Vie de souffrances »
Il aurait aimé raconter lui-même son histoire, écrire un livre où seraient consignés les souvenirs de sa « vie de souffrances ». Mais Bachir ne sait ni lire ni écrire le français.
Plusieurs fois au cours de l’entretien, il s’interroge à voix haute, avec un accent très marqué : « Pourquoi la France ne nous a pas scolarisés ? » Alors c’est à nous qu’il confie son récit, « pour se vider la tête », pour qu’il lui survive et soit transmis.
En 1959, à l’âge de 19 ans, le natif de Sétif rejoint une section militaire spécialisée (SAS), une unité de l’armée française. Affecté à la ville de Ksar El Abtal, il effectue avec ses compagnons d’armes des patrouilles de surveillance et sort « en opération » pour débusquer les combattants du Front de libération nationale (FLN), qui luttent eux pour l’indépendance de l’Algérie.
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Plaie ouverte
Les Accords d’Évian, signés le 18 mars 1962, mettent fin à la guerre et à 132 ans de colonisation. Les troupes françaises entament leur départ et laissent derrière elles la plupart des harkis.
« Jamais je n'aurais cru que la France nous aurait abandonnés. Nous étions ses fils, on a défendu la République. Certains couraient derrière les camions de militaires. Eux leur donnaient des coups de pied et de crosse pour ne pas qu'ils montent. On savait que si l'on restait, on allait mourir. » Bachir Rezigat
Un certain nombre d’entre eux ont été massacrés en Algérie, en particulier après la proclamation de l’indépendance du pays, le 5 juillet. Entre cette date et le 1er novembre, 60 000 à 80 0000 harkis auraient été assassinés.
De la guerre, il garde en mémoire un épisode particulièrement traumatisant. Ses yeux, d’un bleu perçant, se ternissent à son évocation. Près de 60 ans après, la douleur, vive, est toujours présente, profondément ancrée en lui.
Peu après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, Bachir et son beau-frère, lui aussi harki, sont arrêtés par le FLN et menottés l’un à l’autre. Il assiste, impuissant, au meurtre du mari de sa sœur, tué d’un coup de hachette sur la tête, alors qu’ils sont toujours attachés. À lui, les hommes du FLN laissent la vie sauve, en raison de sa jeunesse, suppose-t-il.
Bachir est ensuite conduit dans une ferme où se trouvent environ 500 harkis. Pendant sept mois, il y subit la faim, les coups, les insultes et la peur d’être le prochain à être « emmené » pour être tué. Avec un copain, il réussit finalement à s’évader. Il se rend chez lui, à Bordj Bou Arreridj, d’où il prend un train pour Alger. Sur le quai, il dit au revoir à sa mère. Il ne la reverra jamais. Et l’Algérie non plus.
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Hommage aux harkis à Louviers
Le 25 septembre dernier, la Ville de Louviers a rendu hommage aux harkis lors de la cérémonie organisée en leur honneur à l’occasion de la journée nationale d’hommage qui leur est dédiée. Le maire, François-Xavier Priollaud (MoDem), a prononcé un discours dans lequel il a qualifié l’histoire de ces supplétifs de l’armée française de « tragédie ». La sous-préfète des Andelys, Virginie Sené-Rouquier, a elle exprimé la « gratitude » de la France, via le discours du président de la République, qu'elle était chargée de lire.
Misère et dénuement
Il s’envole depuis la capitale Algérienne vers Marseille, après une nuit de terreur à l’aéroport pendant laquelle lui et son ami ont « peur que quelqu’un vienne [les] arrêter. » Il rejoint la région parisienne.
« Je croyais que je serais heureux ici », souffle-t-il. Mais Bachir ne rencontre que la misère. Il trouve facilement du travail mais pas de logement.
« Les gens ne voulaient pas des harkis et des pieds-noirs. Nous étions rejetés par la population. » Bachir Rezigat
Le fait qu’il ne soit pas francophone n’arrange rien : « On ne pouvait pas demander de l’aide à l’administration. Nous vivions dans la terreur. » Bachir et son ami dorment alors là où ils le peuvent : dans des cabanons de jardin, dans les champs ou des bâtiments désaffectés, alors que le froid de l’hiver 1962-63, le plus rude du XXe siècle, ne pardonne pas. « Nous mettions de l’herbe dans un sac en toile, qui nous servait de matelas. »
Ces conditions de vie extrêmement précaires et ses traumatismes lui laissent des séquelles psychologiques et physiques. Il ressasse les images de l’armée française qui quitte l’Algérie sans ses supplétifs, le meurtre de son beau-frère. Pense à sa famille, dont il n’a pas de nouvelles et ne sait pas si elle est encore en vie.
« J'ai développé entre autres de graves affections de la peau et un ulcère à l'estomac, à force de me tourmenter. » Bachir Rezigat
Sa situation s’améliore ensuite quelque peu lorsqu’il trouve un emploi dans le bâtiment, toujours en région parisienne. « Nous travaillions 12 à 14 heures par jour et étions payés une misère, mais nous étions logés dans les baraquements des chantiers », raconte-t-il en trempant un biscuit dans son troisième café.
Puis Bachir est muté à Louviers, rencontre une femme à Criquebeuf-sur-Seine, qui deviendra son épouse et lui donnera une fille, Nathalie. « C’est là que j’ai enfin commencé à être heureux », confie l’octogénaire.
Bachir Rezigat a rencontré le président de la République, Emmanuel Macron, le 20 septembre dernier à l’Elysée. (©DR)
Reconnaissance
Malgré ce qu’il a subi, Bachir n’a jamais regretté de s’être engagé aux côtés de la France, « [son] pays ».
« Ce que je déplore, c'est la façon dont les harkis ont été traités, la façon dont nous avons été abandonnés, s'emporte-t-il. Nous avions une entière confiance en la France, et elle nous a roulés dans la farine. Nous étions comme des frères avec les militaires de l'armée française. Nous avons été trahis. Et lorsque nous sommes arrivés ici, nous n'avons trouvé personne pour nous défendre. Là-bas, on nous a donné des fusils pour tuer et ici, on nous a laissés tomber. Si la France ne m'avait pas désarmé, j'aurais continué le combat ou bien je me serais tiré une balle dans la tête. » Bachir Rezigat
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Bon nombre de harkis et leurs familles, rapatriés en France après la guerre, ont eux connu la misère des camps.
Le 20 septembre dernier, Bachir a rencontré le Président de la République, Emmanuel Macron. Il a eu avec lui un long entretien lors de la cérémonie d’hommage aux harkis à l’Élysée. « J’étais très heureux de le voir. Je lui ai raconté mon histoire. Il a demandé pardon. Ce sont des paroles fortes que nous avons attendues très longtemps ».
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