27/04/2021
« Les supplétifs débarqués en métropole, en dehors du plan général, seront en principe renvoyés en Algérie (…). Je n’ignore pas ce que ce renvoi peut être interprété par les propagandistes de la sédition, comme un refus d’assurer l’avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles. Il conviendra donc d‘éviter de donner la moindre publicité à cette mesure (…). » (Louis Joxe, le 16 mai 1962).
A moins d’un mois du 59ème anniversaire de l’abandon des Harkis et de leurs familles entre les mains du FLN et de l’ALN il apparait nécessaire de faire un point sur ce que les archives ont révélé.
Cet abandon, voulu par l’exécutif de 1962 et notamment par les deux ministres d’état, l’un en charge des Armées et l’autre de l’Algérie, n’a pu se faire sans l’assentiment du chef de l’Etat d’alors.
En premier lieu Pierre Messmer, ministre des Armées, adresse « en extrême urgence au Haut-Commissaire à Rocher Noir » un télégramme sans ambiguïté dans lequel il regrette « l’arrivée en France de groupes incontrôlés » (Harkis) et demande aux autorités militaires d’enquêter et de sanctionner les officiers responsables de ces transferts et cela en totale contradiction (du moins en apparence) de ce qu’il déclarait aux cadres de l’armée : « pour rassurer ceux qui combattent et se sont engagés à nos côtés , nous devons leur répéter la volonté de la France de n’abandonner aucun de ses enfants… ». La suite a prouvé le contraire !
Comme si cela ne suffisait pas, le cynisme des autorités françaises s’exprime sans fard dans les ordres de Louis Joxe, ministre d’état, ministre des Affaires Algériennes et négociateur en chef des accords d’Evian, dans un autre télégramme « très secret et en priorité absolue » dans lequel il précise que les arrivants, non désirées en France, seraient renvoyés en Algérie sans autre forme de procès… Et ils furent renvoyés avec les conséquences que l'on devine !
Pourtant en sa qualité de négociateur des accords d’Evian et surtout de ministre des Affaires Algériennes il n’ignore rien du sort réservé aux Harkis et à leurs familles par ses partenaires de négociation. C’est probablement pour cela qu’il précise que ses ordres doivent demeurés secrets…
Ces ordres auraient-ils pu être donnés sans l’assentiment ou l’ordre express du président de l’époque ? Il est indéniable que le Général De Gaulle ne voulait pas des anciens supplétifs « ce magma dont il faut se débarrasser sans attendre… », en France ! Car de Gaulle ne considérait pas les harkis comme de vrais Français. Il l'a clairement exprimé lors du Conseil des ministres du 25 juillet 1962 : « On ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur gouvernement ! ».
Et ceci en dépit de la situation en Algérie car, à peine signés, les accords d’Evian furent foulés aux pieds avant que l’encre des signatures ne sèche. Les massacres allèrent crescendo pendant plusieurs mois sans que les autorités françaises jugent utile et nécessaire d’intervenir.
De « plan général de rapatriement » il n’y en eut pas et les 150 000 morts pendant ces mois peuvent en témoigner !
Mais des entraves il y en eut de nombreuses à tel point que sur les 260 000 hommes ayant participé à la lutte contre le FLN seuls quelques dizaines de milliers ont pu gagner la France grâce aux officiers avec lesquels ils avaient servi.
Cette situation a été reconnue par plusieurs présidents de droite comme de gauche, à commencer par Jacques Chirac qui a reconnu en 2001 que « la France n’a pas su sauver ses enfants de la barbarie ». Il aurait même pu dire que « la France n’a pas voulu… ». Plus tard, candidat à sa réélection, Nicolas Sarkozy a déclaré « Le drame des harkis est celui de toute la France. [...] Une tache de sang indélébile reste sur notre drapeau ». Dans une allocution le 25 septembre 2016, à son tour François Hollande déclare « Je reconnais les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des harkis, des massacres de ceux restés en Algérie et des conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France. Telle est la position de la France.»
Enfin, le 25 septembre 2017, Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, a reconnu que la France n'avait pas accordé « sa protection aux harkis qui firent le choix de rester, exposant beaucoup d'entre eux à de violentes représailles » et n'avait « pas su, non plus, accueillir comme ses enfants, ceux qui avaient choisi de rallier le territoire national, les reléguant en grand nombre dans des camps de transit, des hameaux de forestage puis des cités de transit aux conditions déplorables ».
Clairement cet abandon ne fait pas l’ombre d’un doute. De Gaulle a décidé et le gouvernement (notamment les ministres en charges de ces questions) s’est exécuté sans état d’âme comme en témoignent les deux télégrammes précités…
L’exécution de ces ordres a provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes ainsi que celle des refoulés arrivés par des voies parallèles et renvoyés aussitôt en Algérie où ils furent exécutés sur les plages algéroises sans que la France ne réagisse et sans que le gouvernement ne s’émeuve outre mesure.
Les responsables de ces ordres indignes ont rejoint celles et ceux qu’ils ont condamnés à une mort certaine. Par contre ils restent encore aujourd’hui quelques survivants et afin de leur permettre de partir apaisés. Cet abandon, les massacres qui l’ont suivi et les conditions d’accueil pour les rescapés méritent d’être reconnue par une loi de reconnaissance et de réparation des préjudices moraux et matériels subis par les Harkis et leurs familles.
S’il en est besoin les télégrammes ci-dessus sont suffisamment éloquent quand à cette responsabilité pour permettre le vote de la loi exigée avant la fin de la présente législature…
AJIR : Association Justice Information Réparation, pour les Harkis. Contact : ajirfrancecontact@gmail.com Association loi 1901 - tout don à l'association est éligible aux réductions d'impôts